

L’OLIVE, LA GRANDE HISTOIRE D’UN PETIT FRUIT
par HORST SCHÄFER – SCHUCHARDT Journaliste à Der Feinschmecker, auteur de documentaires sur l’huile d’olive pour la Radio Télévision de Munich, auteur pour l’Encyclopédie mondiale de l’olivier publiée par le Conseil oléicole international
La Méditerranée est le berceau de notre civilisation et la patrie historique de l’olea europaea var. Sativa, l’olivier. Les conditions climatiques tempérées, caractérisées par des étés chauds et secs en général, et des hivers pluvieux, font de la Méditerranée l’aire géographique idéale pour la culture de cette plante. Soleil, eau et terrains peu profonds sont les éléments naturels idéaux pour le développement de cette plante. Au cours des millénaires, l’olivier a été considéré comme un symbole d’abondance, de gloire et de paix. Dans l’Antiquité, des rameaux d’olivier couronnaient les vainqueurs de jeux pacifiques ou de guerres cruelles, l’huile de ses fruits consacrait les puissants de la Terre et occupait une place fondamentale dans le domaine alimentaire, cosmétique et thérapeutique. C’est également grâce à la culture étendue et intensive de l’olivier que des peuples comme les Crétois et les Philistins doivent leur prospérité. On ne s’étonnera pas que Columelle en ait fait le premier de tous les arbres – « Olea prima omnium arborum est » – dans son traité d’agronomie De Rustica (V.8.1).
L’oléiculture méditerranéenne s’étend au Nord jusqu’à la Provence française, à travers la péninsule Italique, la Grèce et la péninsule Chalcidique, et arrive au Sud au-delà des oasis de la Tunisie, de la basse Égypte et du territoire du Fayoum, jusqu’à la Mecque en Arabie saoudite. La péninsule Ibérique et les îles Canaries constituent les confins occidentaux de sa culture alors qu’en Orient elle s’étend jusqu’aux hautes plaines de l’Iran. Aujourd’hui, l’olivier, dont il existe plus de 700 variétés, se trouve également dans certains États américains, en Afrique du Sud, en Australie, au Japon et même en Chine.
Dans les temps anciens, l’oléiculture était développée principalement dans le bassin oriental de la Méditerranée ou dans l’aire du « Croissant fertile », donc en Grèce et dans les îles, dans le sud-ouest de la Turquie, en Syrie et en Palestine. Aujourd’hui en revanche, c’est dans la partie occidentale de la Méditerranée que l’oléiculture est le plus pratiquée. La production d’huile d’olive en Espagne a en effet dépassé ces dernières années le million de tonnes ; en Italie, elle atteint cinq cent mille tonnes et en Grèce, trois cent mille.
Des découvertes préhistoriques démontrent que l’olivier existait en Italie dès la période tertiaire, il y a environ un million d’années. A Mongardino, dans la région de Bologne, ont en effet été retrouvées des feuilles fossiles. De même, des noyaux d’olives ont été découverts dans des sites d’époques diverses : à Menton dans le Midi de la France (paléolithique, 35 000 – 8 000 av. J.-C.), à El Garcel en Espagne (néolithique, 8 000 – 2 700 av. J.-C.), à Torre a Mare et à Fasano au sud de Bari (5 000 av. J.-C.) et enfin dans la zone du Lac de Garde (âge de bronze, 1 500 – 1 000 av. J.-C.).
L’oléiculture a commencé à se développer en Palestine, en Syrie et en Crète, lieux d’origine des plus anciennes civilisations de la Méditerranée. De petits mortiers à presses au musée Sheman de l’olivier en Israël témoignent de la production d’huile dès le Ve millénaire av. J.-C. ; de grandes citernes et d’énormes outres en peau de chèvre font remonter le développement de l’oléiculture en Crète à il y a 7 000 ans. C’est d’ailleurs sur la production et sur le commerce de l’huile d’olive avec l’Égypte à des fins alimentaires et cosmétiques que reposait la richesse de cette perle de la Méditerranée orientale.
La fresque peinte dans la tombe du Pharaon Ramsès III en Égypte illustre bien l’usage de l’huile au deuxième millénaire av. J.-C. On y voit en effet des vases dans lesquels étaient conservés les onguents précieux destinés au royaume des morts. Dans la tombe du Pharaon Toutankhamon, on a également découvert des peintures de rameaux et de feuilles d’olivier. Selon le culte des morts, seul celui dont les cheveux, le visage et les pieds étaient recouverts d’huile était autorisé à s’approcher des idoles, qui étaient à leur tour purifiées avec des baumes durant les fonctions sacrées. De même, dans un document écrit par Ramsès III à l’attention du dieu Ra, on peut lire que le Pharaon a fait planter des oliviers pour extraire l’huile de leurs fruits et la réserver exclusivement aux lampes du palais du dieu du Soleil.
Dans la Bible (Genèse 8, 10-11), la première citation concernant l’olivier remonte à l’an 1 000 av. J.-C., à propos de la colombe envoyée par Noé en exploration après le déluge universel, qui rentra avec une feuille d’olivier dans son bec en symbole de paix. Dans l’Ancien Testament, toutes les promesses, admonestations, préceptes et prophéties font référence aux oliviers, arbres indispensables et fondamentaux pour le peuple élu.
Dans l’Odyssée d’Homère, l’olivier est souvent cité : son bois, ses fruits et son huile. Même la couche nuptiale d’Ulysse et de Pénélope est fabriquée dans le bois d’un majestueux olivier.
Au Parthénon, la sculpture de Phidias reproduit Athéna et Poséidon séparés par un olivier. D’après la mythologie grecque en effet, la déesse Athéna planta le premier olivier sur l’Acropole comme symbole de sa victoire sur Poséidon. Depuis, Athéna est considérée comme la patronne de l’olivier. C’est en son honneur qu’étaient organisés les Jeux Panathéniens d’Athènes, un grand festival durant lequel des jeunes filles couronnées de rameaux d’olivier portaient un nouveau péplos pour habiller la statue en bois d’olivier d’Athéna qui se trouvait à l’Acropole. Les vainqueurs de ces jeux se voyaient offrir des amphores remplies d’huile d’olive alors qu’à Olympe, les vainqueurs des jeux Olympiques étaient couronnés de rameaux d’olivier en honneur de Zeus.
Les Grecs et les Romains utilisaient l’huile d’olive pour la préparation des athlètes dans les palestres, pour les massages, les bains et le soin du corps dans les thermes, comme onguent pour les hommes et les femmes. L’huile était alors parfumée d’herbes et de fleurs. Avec quelques gouttes d’huile, on soignait les blessures, on calmait les irritations et les maux d’estomac ou d’intestin et on préparait des rinçages pour la bouche. On sait aujourd’hui, grâce à la science, que l’huile d’olive vierge extra prévient les maladies coronariennes, l’insuffisance circulatoire, l’athérosclérose et la perte précoce de la mémoire.
L’huile d’olive servait également à d’autres usages. On en tirait notamment du savon. La saponification de l’huile est connue depuis l’Antiquité. Presque toutes les villes disposait d’une fabrique de savons à proximité des lavoirs publics où les femmes lavaient le linge. Dans les temples, les palais et les maisons, les lampes en argile, en bronze ou en argent étaient alimentées à l’huile. Ce système a été utilisé jusqu’à l’invention de la lampe à gaz au XIXe siècle. La lampe la plus connue est surement la Menorah, le chandelier d’or à sept branches fabriqué par Moïse, ou la lampe votive pour la déesse Athéna, qui se trouve au Parthénon. Un rite qui entrera par la suite dans le culte de l’Église catholique.
Les pratiques de culte du christianisme recouraient en effet fréquemment à l’huile d’olive. A sa mort, Jésus fut enveloppé dans un suaire de lin après que son corps ait été couvert d’un mélange d’huile, de myrrhe et d’aloès, suivant d’anciennes traditions hébraïques et égyptiennes. L’habitude de porter des bases contenant des baumes sur les tombes est en revanche d’origine gréco-romaine. Jésus de Nazareth était d’ailleurs un oint du Seigneur et les noms Christ et Messie qui lui sont donnés signifient justement le « consacré par l’onction ». Dans la religion chrétienne, et catholique en particulier, la consécration des huiles revêt une grande importance dans le sacrement, le Jeudi Saint étant réservé également à la bénédiction des huiles conservées dans de précieux récipients.
Les Romains améliorèrent les méthodes de production de l’huile d’olive grâce aux savants et aux agronomes comme Aristote, Caton, Pline, Solon ou Vitruve. Les découvertes archéologiques ont permis d’acquérir des connaissances précises sur la récolte des olives, les presses, les meules et le mode de conservation des huiles. L’huile était obtenue selon deux modalités : le broyage et la pression des olives.
La broyeuse la plus ancienne, la Canalis et Solis, était constitué d’une base de grandes dimensions, entourée de sillons circulaires sur lesquels les olives – souvent dénoyautées – étaient piétinées avec des sabots ou pressées avec des pierres. Le type Trapetum était en revanche composé d’une grosse pile en pierre ou d’un mortier autour duquel tournaient deux meules semi-sphériques. Enfin, la Mola Olearia était composée d’une base circulaire fixe au centre de laquelle était encastré le bras d’une meule à roue qui tournait autour de son axe.
Après la pression des olives, la pâte huileuse était introduite dans des paniers ou scourtins et soumise à la pression. L’huile s’écoulait dans un sillon, était récupérée dans un récipient puis versée dans un grand conteneur dans lequel elle était séparée de l’eau de végétation par décantation. L’introduction de grosses presses a alors marqué le début d’une nouvelle ère dans l’histoire de la production. Certains modèles seraient encore utilisés aujourd’hui mais ont été rattrapés par les systèmes modernes à cycle continu dans lesquels les olives sont broyées avec des disques ou des marteaux et passées dans une centrifugeuse pour séparer l’huile de l’eau de végétation et des grignons.
S’il est vrai que les techniques d’extraction de l’huile d’olive ont évolué, on peut constater que la méthodologie du travail est restée identique.